Sommet d’urgence sur le bien-être de l’enfance au Canada

Une conversation avec la chef de la direction de l’AOSAE, Mary Ballantyne, et la directrice des Services autochtones, Karen Hill

La ministre fédérale des Services aux Autochtones, Jane Philpott, a réclamé un sommet d’urgence qui s’est tenu le mois dernier, afin d’aborder la situation actuelle du bien-être de l’enfance autochtone, qu’elle a assimilée aux horreurs des pensionnats autochtones.

Les dirigeants politiques autochtones des provinces et des territoires, les dirigeants du bien-être de l’enfance, ainsi que les ministres responsables des portefeuilles des Autochtones et du bien-être de l’enfance, se sont réunis durant deux jours à la fin janvier. Par suite de la rencontre, la ministre Philpott a annoncé le plan en six points suivant :

  • Continuer à travailler pour entièrement mettre en œuvre toutes les ordonnances du Tribunal canadien des droits de la personne;
  • Centrer les programmes sur la prévention et l’intervention précoce;
  • Travailler avec les partenaires pour aider les communautés à retirer la compétence en matière de services à l’enfance et à la famille, incluant l’exploration de lois fédérales élaborées en collaboration;
  • Appuyer le leadership Inuit et Métis pour faire progresser une réforme culturellement appropriée;
  • Élaborer des données et une stratégie de suivi avec les provinces, les territoires et les partenaires autochtones;
  • Accélérer le travail des tables techniques trilatérales qui sont en place dans le pays.

Peu après la publication du plan, le Tribunal canadien des droits de la personne a émis une quatrième ordonnance de non-conformité découlant de sa décision de 2016 énonçant que le système du bien-être de l’enfance des Premières nations du gouvernement fédéral est discriminatoire. Le tribunal a ordonné au gouvernement de commencer à payer les coûts réels des agences des services à l’enfance et à la famille qui travaillent dans les réserves, rétroactivement à janvier 2016.

La ministre Philpott a réagi en annonçant que le gouvernement se conformerait à l’ordonnance, et que ces agences peuvent commencer à fonctionner en tenant pour acquis que les coûts de leurs programmes seront payés par le gouvernement. Les détails du financement devraient paraître dans le prochain budget fédéral.

Karen Hill, directrice des Services autochtones, à l’AOSAE, et Mary Ballantyne, chef de la direction de l’AOSAE, ont participé au sommet d’urgence. Voici certaines de leurs idées et réflexions relatives à cette rencontre historique.

Q: Pourriez-vous nous parler un peu de l’importance de cette rencontre?

R: Karen Hill

Nous sommes honorées d’y avoir été invitées. La portée de la rencontre était fédérale et nationale. Elle a rassemblé les leaders autochtones de tout le Canada, afin d’entreprendre une discussion sur la crise du bien-être de l’enfance que la plupart de nos collectivités vivent.

Ici, en Ontario, et dans tout le pays, le gouvernement fédéral a créé un genre de vide ou de vacuum dans le système du bien-être de l’enfance en déléguant la responsabilité du bien-être de l’enfance aux provinces, en consultant peu ou ne consultant pas les Autochtones. De nombreux Autochtones, de même que plusieurs provinces, estiment que leur relation est avec le gouvernement fédéral. Cela a un une incidence réelle sur les communautés. Les gouvernements fédéral et provinciaux se demandent souvent qui détient la responsabilité de certains programmes et services. Cette rencontre était une reconnaissance par le gouvernement fédéral qu’il en détient la responsabilité première.

J’estime que le sommet indiquait un changement à l’échelle du pays, dans la relation entre les Autochtones et le gouvernement fédéral. L’indication d’un partenariat différent et plus égal avec les dirigeants du bien-être de l’enfance autochtone.

Mary Ballantyne

J’estime qu’il était très significatif que le sommet se tienne près de deux ans après la décision du Tribunal canadien des droits de la personne. Tout le pays doit se pencher sur cet enjeu, et je crois que les autres provinces constatent les mêmes enjeux et préoccupations que nous, ici en Ontario. Nous n’en avons pas appris beaucoup sur ce que les autres provinces font, mais les histoires racontées par les leaders autochtones étaient passablement similaires. On a parlé des difficultés que vivent ces communautés, de la surreprésentation dans le système du bien-être de l’enfance, ainsi que du besoin de trouver une voie vers la compétence en matière de bien-être de l’enfance.

Karen Hill

Il était important que nous y soyons invitées et que nous y participions, compte tenu des engagements que nous avons pris envers les communautés autochtones à l’égard de la réconciliation. Nous devons démontrer que nous sommes ouverts à écouter et à apprendre, ainsi qu’à être des collaborateurs réels pour changer le visage du bien-être de l’enfance, lorsqu’il s’agit d’enfants et de familles autochtones.

Q: Comme vous l’avez mentionné, la portée nationale de cette rencontre était significative. Avez-vous remarqué quelque chose de particulier chez les autres participants?

R: Karen Hill

Ce qui était significatif pour moi était qu’ils incluaient des Inuits et des Métis, et que ces derniers avaient une représentation politique à la rencontre. Ils ont indiqué clairement qu’ils voulaient également ce que les Autochtones veulent depuis longtemps.

Mary Ballantyne

Je suis d’accord. Cette rencontre était très inclusive des Premières nations, des Métis et des Inuits. Les Métis et les Inuits occupaient une place égale et avaient une voix égale à la rencontre. Parce que jusqu’à ce jour, dans de nombreuses communautés où la reprise du mandat du bien-être de l’enfance a eu lieu, elle a plutôt eu lieu avec les communautés des Premières nations, et pas nécessairement avec les communautés Métis et Inuits. Ces groupes ont maintenant réellement des attentes semblables pour leurs enfants.Q:

Q: Était-ce une rencontre productive?

R: Mary Ballantyne

Je l’espère. Elle a réellement rassemblé toute la nation, toutes les parties prenantes clés du bien-être de l’enfance, et on a mis les enjeux sur la table. Mais il faudra voir. Parce qu’il y a 50 ans, ces mêmes enjeux étaient sur la table. Et il y a deux ans, on ordonnait au gouvernement d’agir à cet égard, et nous n’avons pas encore constaté ce genre de changements.

Karen Hill

Je crois que la majorité de ce que nous avons entendu au sommet peut mener à des choses productives. Tous les leaders autochtones ont revendiqué une approche plus globale au bien-être de l’enfance – une approche qui inclue la prévention, le renforcement de la capacité de développement communautaire et la prestation de services, et qui respecte l’autorité et l’autonomie des communautés autochtones en matière de prise de décisions relatives à leurs enfants et leurs familles. Une approche holistique qui est centrée sur le développement et la guérison de la communauté, ainsi que sur l’autonomie et l’autorité des communautés pour ce qui est de prendre soin de leurs propres enfants.

Mary Ballantyne

Absolument. L’idée de prévention était réellement prédominante à la rencontre. En ce sens que les agences du bien-être de l’enfance travaillent avec les familles de sorte qu’elles puissent s’occuper de leurs propres enfants. Il était évident qu’elles voulaient que tous les gouvernements et tous les organismes appropriés se concentrent sur le fait d’accomplir le travail du bien-être de l’enfance de cette façon. L’importance d’intégrer une intervention de traitement éclairée par les traumatismes est un thème qui est aussi ressorti durant ces deux journées. Les Autochtones et les communautés autochtones doivent avoir la possibilité de se rétablir des traumatismes qu’ils ont subis au cours de nombreuses décennies, de sorte qu’ils soient plus en mesure de reprendre le soin de leurs enfants et le contrôle du travail du bien-être de l’enfance.

Q: Lorsque vous observez la relation du bien-être de l’enfance avec les communautés autochtones dans toutes les provinces, qu’en est-il de l’Ontario?

R: Mary Ballantyne

Les enjeux sont très semblables partout au Canada. Les histoires que nous avons entendues à la rencontre ressemblaient à celles que nous avons entendues à l’événement de réconciliation. Bien que les proportions d’enfants autochtones pris en charge en Ontario puissent être inférieures à celles de certaines autres provinces – quelque chose qui découle principalement des différences dans les populations autochtones et non autochtones –, je ne crois pas que nous pouvons dire que les enfants et les familles autochtones sont nécessairement mieux servis ici que dans les autres provinces.

Cela dit, nous devons continuer d’avancer. Nous devons faire partie du changement. Bien que ce ne soit pas à nous de concevoir l’avenir du bien-être de l’enfance autochtone, nous avons le devoir de faire mieux pour les enfants et les familles autochtones que nous servons actuellement. Le travail que nous avons cerné dans le cadre de nos engagements à l’égard de la réconciliation nous indique nos prochaines étapes. En Ontario – avec notre structure unique d’agences locales –, nous avons vraiment le pouvoir de faire les choses différemment pour ceux que nous servons actuellement, en collaborant beaucoup plus étroitement avec les fournisseurs de services des Premières nations et autochtones. Parallèlement, nous devons aider les communautés autochtones à reprendre le mandat du bien-être de l’enfance.

Karen

Exactement, nous pouvons nous adapter davantage aux besoins et au contexte des communautés. Et les agences de l’Ontario démontrent leur disposition à faire justement cela pour les communautés autochtones. Il s’agit d’un parcours cahoteux, mais elles y travaillent, et cela est une bonne chose. Personne n’abandonne.

Q: Qu’avez-vous pensé de l’annonce de financement qui a suivi le sommet?

R: Karen Hill

Comme les communautés autochtones et les agences du bien-être de l’enfance autochtones ont été extrêmement sous financées durant des décennies, elles n’ont pu qu’offrir les services d’intervention de crise les plus fondamentaux. Elles n’ont pu qu’aborder superficiellement le vrai besoin pour les familles. Pour les aider à se rétablir des traumatismes intergénérationnels causés par les pensionnats et la Rafle des années 60, et plus généralement, du retrait forcé des gens vers des territoires et des styles de vie qui leur étaient complètement étrangers sur le plan culturel. Bien que nous puissions être optimistes quant au financement, nous devons aussi examiner attentivement ce qu’est le vrai besoin. Nous avons besoin d’un processus exhaustif où nous évaluons et fournissons des commentaires, et sommes le plus prêts possible à accroître l’offre de soutien.

Mary Ballantyne

J’espère que l’annonce de financement est un signe que le gouvernement fédéral est réellement prêt à intensifier ses efforts. Mais il devra aller au-delà du simple financement des activités quotidiennes des agences du bien-être de l’enfance autochtones. Il devra aussi aborder l’infrastructure des communautés autochtones, les problèmes de santé dans les communautés, ainsi que les traumatismes et la guérison qui doit avoir lieu. Et il ne s’agit pas seulement d’argent, il s’agit également de soutiens en ressources et infrastructures qui vont au-delà du simple bien-être de l’enfance, en incluant entre autres les écoles, les établissements de santé et les possibilités de traitements.

Q: Quelles sont les prochaines étapes pour faire progresser la réconciliation ici en Ontario?

R: Mary Ballantyne

Le bien-être de l’enfance autochtone change, et change rapidement. Il continue de travailler pour que les communautés autochtones se réapproprient de plus en plus le bien-être de l’enfance, ce que nous appuyons fortement. Il ne relève pas de nous de façonner l’avenir.

Mais pour ce qui est de la continuité des services offerts aux enfants autochtones par des agences non autochtones, nous devons faire encore mieux. Cela revient vraiment à nos engagements à l’égard de la réconciliation. Les choses qui doivent être changées, jour après jour, pour les enfants avec qui nous travaillons maintenant se trouvent dans ces engagements.

Karen Hill

Bien que nous voulions être optimistes, nous devons être conscients que cela n’est pas une nouvelle préoccupation ou un nouveau problème. Cela remonte à plus de 50 ans. C’est vraiment à nous, en tant que sociétés d’aide à l’enfance, de nous améliorer et de faire ce que nous pouvons. Nous ne pouvons pas rester immobiles et attendre que le gouvernement règle cette situation. Nous devons poser des gestes concrets et faire ce que nous pouvons.